¤Les peintres de papillons ¤

Vous ai-je déjà parlé de Lady Butterfly et de l'extraordinaire découverte qu'elle me permit de faire au cours d'une visite de courtoisie que je lui fis ? Non pas que je sois homme particulièrement courtois (mon étourderie me fait bien souvent négliger la plus élémentaire politesse) mais la brave et vieille dame se trouve être aussi sourde qu'un pot sous cloche à vide et je ne vois nulle autre motivation que la seule courtoisie qui puisse amener à goûter deux heures de discussion de sourds agrémentée d'une infinité de petits gâteaux rassis probablement importés de la lointaine patrie british ...

Seulement il se trouve que l'aimable et rondelette lady, dont on notera le charmant accent anglo-saxon, se trouve bien seule depuis que son chat s'aventura malencontreusement sous les roues de mon vélocipède ... s'il est vrai que les chats ont neuf vies, je ne doute pas que celui-ci fut plus heureux que moi dans l'accident malencontreux d'un virage trop sec dans une nuit trop noire ... car le poids de ma conscience m'astreignit à faire office de potiche en remplacement du dodu félin et de recueillir patiemment tous les 10 du mois le flot insatiable de volubilité à thème télévisuel d'un authentique vestige de l'anglicisme exporté durant la dernière guerre. Ce bavardage stérile autour du "it's raining cats and dogs today" n'a jamais été ma tasse de thé, si j'ose dire ...

Pour en revenir au sujet initial de ma découverte, figurez-vous que la lady a ça de particulier qu'inspirée par son nom elle se consacra à une impressionante collection de lépidoptères ... cela va de l'Aglais Urticae au Mellicta Britomartis en passant par l'Erebia Epyphron ... en bref, imaginez deux ailes, donnez leur n'importe quelle forme et agencement de couleurs et vous la trouverez au bout d'une épingle made in london dans l'appartement 15 du 12 de ma rue ...

J'avoue qu'au départ la perspective d'aller lorgner des cadavres empalés sous verre ne m'est pas venu spontanément à l'esprit avant que je n'y trouve un heureux échappatoire au flot parolier jaillisant du sofa ... aussi est-ce de façon systématique que je me suis lancé dans l'exploration des vitrines tandis que la dernière guerre avait le droit à son oratrice passionnée dans mon dos.

Un jour je fus étonné de trouver sur les vitrines méticuleusement netoyées un petit carnet reliés et trop négligemment abandonné là pour que ce fus le fruit d'un oubli malencontreux ... je crois avoir déjà précisé que je suis d'une irrépressible curiosité; je ne pus donc m'abstenir de greffer mon regard aux curieux croquis et à la légende en pattes de mouche attenante.

Je suis loin d'être crédule et je me qualifierais assez volontairement de sceptique inné mais parfois la baleine est tellement accomodée qu'on ne peut s'empêcher de l'avaler goûlument . C'est un peu comme si on vous annonçait qu'une bombe H venait de tomber sur Ouagadougou avec la mine la plus sérieuse qui soit. Là j'avais l'exclusivité d'un journal d'observation daté de jour en jour et sur près d'une soixantaine de pages. Je ne pouvais décemment concevoir que la dame de 80 ans et des poussières se livrait à de telles inventions alors qu'elle semblait dotée d'une imagination aussi riche que le dernier reality-show. Soit j'avais sous les yeux un formidable exemple de dédoublement de personnalité, soit je me devais d'envisager un Alzheimmer de type très singulier tenant du délirium tremens.

Mais je ne voudrais pas faire durer davantage le suspens, aussi voici ce qu'il me fut donné de décrypter en titre de cette analyse à la rigueur toute scientifique :  "Moeurs des peintres de papillons". Autant vous dire qu'un second sourd venait de se matérialiser dans la pièce tellement je fus absorbé par ce ... cette étude ...

Premièrement vous aurez remarqué qu'un doigt déposé sur une aile de papillon vous laisse presque assûrément avec une tâche sur le premier et un sentiment de délit sur le second. Secondement vous n'aurez manqué de constater que d'un papillon à l'autre il y a de subtiles variations dans le dessin du motif. Enfin, ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi le papillon avait un vol aussi anarchique alors qu'il est doté de tout le nécessaire pour relier le point A au point B sans s'offrir des loopings ?

Voici donc ce qu'aucun scientifique n'a jamais osé révéler et qu'il aurait certainement attribué au picolage passif d'une haleine voisine:

• 1 ) Nous avons la chose disgracieuse, verte ou noire, poilue ou non, ventrue ou allongée qui constitue la génèse du papillon avant de se bâtir un paravent de bave pour enfiler sa robe d'été.
• 2 ) Nous avons le majestueux et coloré insecte qui s'offre des flirt de sa trompe dans les plattes-bandes, sous les regards émerveillés des badauds amourachés de la nature le temps d'un congé ...

Figurez-vous que le passage de 1 à 2 n'est pas l'opération du bon dieu de La Fontaine qui dota toute l'arche de Noé des attributs du stock divin de la création. C'est là qu'interviennent les peintres de papillon.

Vous connaissez sans aucun doute le principe des images subliminales qui, glissées dans un document vidéo, restent invisibles à l'oeil nu et délivrent pourtant un message à votre conscience qu'elle va enregistrer et assimiler. Et bien sachez qu'à dos de papillon se trouvent des êtres quasi-subliminaux si je puis l'exprimer ainsi ... ces êtres se relayent pour émettre un cri aigu qui sera enregistré par la conscience et amènera celle-ci à négliger l'information visuelle qui permettrait de percevoir les peintres. Les sourds seuls peuvent donc, à l'aide d'un microscope, percevoir nos artistes à dos de papillon. Notre Lady est donc l'une des rares privilégiées à avoir pu mener à bien l'observation des moeurs de ceux-ci

Elle décrit les peintres comme autant de petites créatures rondes aux couleurs très différentes, selon le pigment transporté dans leur abdomen. Lorsque notre chenille produit sa chrysalide, elle dépose dans sa salive les oeufs des peintre et le papillon ne quittera sa chrysalide qu'au moment où ils seront éclos. après sa mue le papillon prend son envol et les peintres s'installent sur son dos puis commencent leur oeuvre de peinture et construction.

Chaqun des grains de cette poussière colorée et grasse qui recouvre les ailes du papillon abrite l'habitat d'un de ces être qui le décorera alors de la couleur correspondant au pigment sécrété dans son abdomen. L'agencement des habitats, soit donc des couleurs, revêt une symbolique bien particulière qui permet à chaque communauté d'un autre papillon croisé de communiquer des informations qui permettront ensuite d'orienter le papillon et garantir ainsi sa survie et celle de la communauté. en mordillant les antennes, les peintres obtiennent les subtils mouvements des ailes  et ainsi la direction du vol vers les lieux propices et par ailleurs le jeu de lumière sur le brillant des peintures qui permet de délivrer un message très élaboré à toute communauté croisée.

En ce qui concerne maintenant l'intelligence, les moeurs et les motivations éventuelles de nos picassos adeptes du rodéo volant, il semblerait que tout leur langage repose sur des jeux de dégradés de couleurs et de lumière et qu'ils eurent assez d'intelligence pour négocier leur survie avec la Lady en échange d'informations sur leur existence. Car comme tout être ils se nourrisent et plus spécialement de pollen naturellement. ils n'ont qu'une mémoire relativement courte et instinctive mais une intelligence vive qui leur confère une adaptabilité et une compréhension immédiates des concepts simples ( leur code couleur-langage comporte un vocable restreint aux besoins vitaux de leur existence ). Leur motivation est donc la survie par tous les moyens et la préservation d'un savoir géographique transmis de papillon en papillon ( les plus grands papillons des régions les plus anciennes transporteraient un vrai trésor "géo-stratégique" qui permet la pérénnité de l'espèce et ainsi de ses hôtes ).

Il y aurait sans doutes beaucoup de considérations techniques à livrer à ce sujet mais je pense que vous aurez plaisir à vous précipitez sur le premier paquet de boulkies afin d'entrer en relation avec nos surréalistes par vous-même ... aussi ne vais-je vous révéler que l'étrange marché qui lie ces derniers à la Lady lépidoptérophile.

Tous les jours Lady Butterfly ouvre ses vitrines et vient déposer du pollen dans le chas de toutes les aiguilles pour ses hôtes ... en échange ceux-ci entretiennent les couleurs de sa collection.

C'est après cette lecture édifiante que Lady Butterfly me demanda sur le seuil de chez elle de lui renouveler ses réserves de pollen et de venir entretennir ses vitrines quand elle se sera envolée au paradis des papillons. Depuis quelques mois j'ai donc hérité d'une collection de papillons momifiés, état ne,f et me suis inscrit à un cours de peinture dans l'optique de produire le premier dictionnaire "papillon-français" ...

La morale de l'histoire est qu'on n'est jamais vraiment handicapé d'un sens, on perçoit simplement les choses autrement, des choses qui sont inconnues aux autres ... c'est un juste retour des choses !

[ J.D ]

(Extrait de mon journal de petits mondes 3 juin 2004 à 23:59:23)