Des heures, oui des heures que je suis là, pantois, dubitatif, affalé, étalé, inerte à tenter de joindre deux terminaisons nerveuses pour esquisser une ébauche de mouvement, mais en vain ...
Vous savez, de ces jours qui suivent de ces nuits trop allongées et où le moindre petit bout de ciel gris sert d'accroche à toutes les bonnes excuses pour ne pas mettre le nez dehors. De fait on finit par se convaincre que rien ne prouve que le seigneur céleste ne s'est pas offert un petit congé hebdomadaire après tous ses efforts et que par conséquent, à son image (on le dit), on ne doit pas se culpabiliser de se tourner les orteils en plus des pouces ... enfin bref, de ces jours où toute la mauvaise foi est déployée par l'agnostique que je suis pour faire de la paresse un saint sacrement.
Je disais donc que je végétais sans scrupules depuis plusieurs heures, le dos au matelas et le regard voyageant dans le trouble du plafond, tandis qu'un petit air de musique achevais de m'enlever toute tentation de remède à ma procrastination chronique, lorsque soudain ma conscience eut un ultime sursaut de culpabilité; c'est chose douloureuse que de se contempler l'espace d'un instant dans tout son pathétisme larvaire ...
Dès ce moment il me fut impossible de rejoindre les limbes confortables de l'oubli et me vouer aveuglément au culte de la flemmingite aigüe. Quel désarroi ne fut pas le mien lorsque je ne pûs plus trouver dans l'oreiller ce fidèle confident et dans la couette cette tendre amante m'emportant au 7ème ciel de la médiocrité ...
J'employai alors toutes mes pensées (du moins celles que la léthargie avaient épargné) à étudier les causes de ma propre déchéances et les raisons profondes qui pourraient expliquer le sentiment qu'un étau s'offrait mon pauvre corps désarticulé comme casse-croûte ...
Ce qui suit n'est absolument pas le fruit de la plus mauvaise foi qui soit, ni même la justification absolue de mes égarements paresseux mais un constat tout ce qu'il y a de plus rigoureusement scientifique, appuyé par une scrupuleuse auto-étude (certe je sens le scepticisme poindre mais je ne laisserais pas une découverte fondamentale être la victime de l'obscurantisme ignorant).
Tandis que mes rétines imprimaient les quatre coins cardinaux du plafond et que mon petit doigt tentait par un martellement frénétique de l'alèse d'échapper à la paraplégie endémique, mes pensées se mirent en quête du secret de l'inertie.
Et que vis-je alors ? Rien sinon les ravages plafonniers de l'humidité ! Qu'entendis-je ? Rien sinon la musique envoûtante et entêtante. Que ressentis-je ? Rien d'autre qu'une colonie de fourmis occupée à évider les dernières cavités de mon organisme de leur vitalité ... mais alors d'où pouvait bien provenir cette force qui me rivait au lit comme si l'on m'y avait crucifié en m'ôtant toute volonté de ressurectionner (ça s'est déjà vu, on préfère être prudent ...) ?
Et tout à coup il vint une idée prodigieuse (du moins au regard de mes capacités amoindries) : quelque chose trompait mes sens pour me mettre dans le plus sournois esclavage, j'étais la victime consentante malgré moi d'un complot ourdi à l'encontre de ma nature enthousiaste, volontaire, créative, dynamique, tout ce que toutes mes lettres de motivations avaient toujours su décrire avec pertinence et réalisme !
Je mis aussitôt en oeuvre toutes mes énergies rescapées pour lutter contre l'ignominieuse influence et parvenir à déceler ses instruments. Je me vis, les yeux embués, le front plissé, les paupières papillonantes, attirées invariablement entre elles comme deux aimants puissants, la salive pâteuse et stagnante suite à une grève maxillaire généralisée, le poitrail surmonté d'une enclume, les extrémités et terminaisons nerveuses manquantes à l'appel et chaque pensée active immédiatement réprimée par un "demain, tu feras ça demain !". Je ne me reconnaissais plus (si si !) dans cette enveloppe charnelle réduite à la légumisation, prenant racine dans les plis du grabat.
Cette analyse me fit remarquer l'incongruité du balet de paupières propre à faire pâlir de jalousie les fantasmes d'une danseuse étoile; d'où mes globes oculaires pouvaient-ils tirer toutes ces micro-courbatures qui rendaient chacun de leurs mouvements pénibles ? Et comment se faisait-il que mes yeux à la vue si limpide et perçante habituellement, se laissaient couler dans un bain lacrymal aussi trouble que l'eau de chaux passée au CO² ?
Et là, eurêka, fiat lux ! Ma vision subissait des assauts invisibles et tandis que mes iris se diaphragmentaient follement, mes rétines devaient se retrouver prises en otages par une influence malfaisante. L'explication devait être subliminale ...
Fort de cette prise de conscience je me mis donc en peine de repasser dans ma mémoire les enregistrements des instants précédent approximativement mon viol sauvage par des puissances tyraniques. J'essayai de figer l'Avant-Après, un peu comme dans ces démonstrations pertinentes de miracles capillaires.
La porte d'entrée qui se referme sur ma silhouette dégingandée équipée de l'incontournable baguette du goûter, les petits volutes aimables qui s'élèvent de la théière, le tout qui vient garnir un délicieux plateau-repas déposé à même mes genoux. La musique qui se diffuse tout autour dans une parodie parfaite de Boucle d'Or trouvant son bonheur dans la merveilleuse masure d'ours (bien lêchés ceux-là).
Et là vient le moment fatidique où deux personnes dans la situation présente se feraient d'interminables politesses pour ne pas s'avouer qu'elles n'ont aucune idée de ce à quoi elles pourraient s'employer à présent; seulement, à défaut d'interlocuteur qui, finissant par céder, se décide pour proposer de visionner un film (qu'il conviendra, pour faire honneur aux usages de la plus élémentaire bienséance, de choisir longuement à son tour), tout respectueux que l'on est de soi-même, et pour ne pas déroger aux conventions, on se fait le devoir de laisser notre ego choisir notre occupation.
Et c'est précisément là que le piège se referme, ignoble, imparable, machiavélique (et j'en passe !) : incapable de céder à soi-même, on se retrouve pris dans la ronde infernale d'un cercle vicieux (l'expression est faible) dont seule l'irruption opportune d'un tiers saurait nous extraire. Dès lors, des puissances invisibles se mettent à l'oeuvre pour peaufiner le carcan doré. Surgissant du néant, elles s'enfilent par tous les pores du corps et y exercent moultes pressions jusqu'à déséquilibrer notre organisme figé dans ses indécisions. Persuadé, à tort, qu'un bon oreiller saura abaisser la température d'un cerveau en pleine ébullition métaphysique, notre être se laisse choir lourdement dans les plumes, livré à l'ennemi ...
Tandis que dans mon esprit, horrifié par ce constat, s'ébauche un plan de contre-attaque, je sens mes énergies affluer : tel investi d'une noble mission, je m'élance, enflammé, vers mon clavier où je me fais aussitôt le devoir, sans une seconde de relâche, de rendre compte de cette terrifiante découverte.
Eprouvé mais néanmoins heureux d'avoir pu contribuer à l'émancipation future de l'humanité, sous le joug d'une puissance malicieuse, je me livre à l'ennemi, martyr nécessaire de ma cause alterprocrastinienne ... au creux de l'oreiller ...
Commentaires :
Re:
Tu dois sans doute être ma plus fidèle lectrice Teïdy Lou, ça me fait à chaque fois sourire de voir un de tes commentaires confié ici ou là à un de mes blogs :)
Heureux que mes élucubrations te plaisent !
Bisous
Re: Re:
Coucou !
Moi aussi, j'avoue m'être livrée souvent à la proscranisation... arf ! J'ai beau connaître ce mot, je n'arrive jamais à le dire, encore moins à l'écrire ! :-)
Grand sourire...:-)))